Les messagers volants en terre d’Islam
Le pigeon voyageur a joué un rôle primordial en terre d’Islam dès le début du califat abbasside (fin du VIIIe siècle). Des vallées du Tigre et de l’Euphrate qui en furent sans doute le berceau, il gagna l’Orient comme l’Occident (Andalus et Sicile). Mais nul État ne lui attacha plus de prix que celui des Mamelouks qui couvrit l’Empire d’un dense réseau de colombiers, des rives de l’Euphrate en Syrie du Nord au bord de la mer Rouge en Égypte. Ces messagers des airs ont servi les souverains, en temps de guerre, comme en temps de paix à des fins parfois imprévues : des courriers ailés portèrent des cerises fraîchement cueillies à Damas pour régaler le calife fatimide Azîz au Caire et lui épargner la peine inutile d’un long voyage. Toutefois, ils risquaient, malgré leur fidélité, de violer les secrets confiés à leur garde pour les livrer à l’ennemi, s’ils tombaient entre ses mains. Les billets interceptés pouvaient être alors remplacés par des faux, qui, au lieu de ranimer l’ardeur dans les murs, y portaient la désolation, même si une armée de secours accourait pour les sauver du péril. Les messagers volants ont également servi les particuliers, dès l’avènement des Abbassides : les amoureux leur confiaient des billets doux ; les sectes apprenaient par leur entremise les faits survenus en des régions éloignées, avant que la renommée, de ses ailes rapides, n’en répandît le bruit. Les marchands devaient tirer fruit des secrets confiés à leurs ailes de la fin du Moyen Age au siècle des Lumières : ceux de Bagdad étaient ainsi instruits du cours des richesses des Indes débarquées au golfe Persique et pouvaient spéculer à loisir avant leur arrivée. Lors des voyages de retour, les pigeons au long cours couvraient couramment de 800 à 1 000 kilomètres. Quelques oiseaux de fond hors ligne purent même en dépasser 2 000, en revenant de Pergame et de Constantinople à Basra ou de Tunis au Caire. Ces prouesses ne furent égalées, puis largement dépassées en Occident que dans la seconde moitié du XIXe siècle et au seuil du XXe, quand les secrets perdus d’Orient furent retrouvés après un immense oubli.
Paris : CRNS, 2002
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